Bienv'nu chez les Chiites
C'était une envie que j'avais depuis un petit bout de temps : aller faire un tour en Iran. Ce fut chose faite entre le 15 et le 28 juin, en compagnie de Raphaël, un pote d'Istanbul qui a bien voulu m'accompagner dans ce petit tour au pays des Ayatollahs. Tenez-vous bien, on y a été accueillis à merveille ! Probablement quelques jours parmis les plus marquants de ma courte existence.
Alors, pour commencer, vous allez sûrement me dire : "Mais pourquoi l'Iran pour les vacances ?" Ce à quoi je répondrais "Et pourquoi pas ?".
Certes, à première vue (dans les médias), c'est là une terre inhospitalière, peuplée d'Ayatollahs fanatiques brûlant des drapeaux occidentaux à la première occasion. Mais c'est aussi et surtout un pays qui a hérité de plus de 3000 ans de civilisation, et dont la réalité est bien plus complexe qu'on veut bien l'entendre. Figurez-vous qu'on a eu moins de problèmes à voyager en Iran, tout français que nous sommes, qu'à se balader en terres kurdes en Turquie, toute laïque et démocratique qu'elle veut paraître. Ainsi, l'Iran est intriguant, mystérieux... C'est assez à mon goût pour justifier un petit tour là-bas. D'autant que le coach surfing y est très développé et qu'on a pu en profiter pleinement, premier paradoxe parmi tant d'autres qu'on a pu observer. Le régime islamique, en effet, est prêt à tolérer toutes les contradictions avec sa doctrine pseudo-orthodoxe, tant que ça permet à la classe cléricale de rester en place.
Comme je devais rentrer le 30 juin, le programme a été court, nous ne somme restés que 10 jours en Iran, et nous n'avons pas eu le temps d'aller voir certaines villes touristiques comme Yazd, Shiraz ou Persepolis. Mais qu'à cela ne tienne, ça m'obligera à revenir, et ce voyage était plus motivé par la curiosité de rencontrer des Iraniens que par l'envie de côtoyer des touristes en voyage organisé.
Une nuit à l'hôtel Kerdelen de Trabzon
Première étape avant tout, obtenir un visa d'entrée. Normalement, les démarches sont longues, mais nous étions informés. Il y a dans la ville Trabzon, au Nord-Est de la Turquie, au bord de la Mer Noire, un consulat iranien qui délivre très facilement des visas aux voyageurs. On a donc pris l'avion depuis Istanbul jusqu'à l'ancienne Trabizonde, la cité qui fut l'ultime capitale byzantine pendant quelques années encore, après que Mehmet II prit Constantinople en 1453. Aujourd'hui, Trabzon est un modeste port et une grosse ville prise entre la mer et les montagnes, avec assez peu de restes de son passé glorieux, à travers quelques églises byzantines et des morceaux de remparts.
Surtout, comme dans beaucoup de villes de la Mer Noire, le mode de vie à Trabzon est assez conservateur, les femmes voilées sont très nombreuses, et il n'y a aucun bar en ville. Mais durant ce voyage, nous avons appris avant tout à nous méfier des apparences. En effet nous avons passé une nuit à Trabzon à l'hôtel, dans une rue qu'on nous avait recommandée, en demandant où on pouvait trouver un ucuz otel (bon marché). Ce n'était pas ce qu'on avait vu en ville qui pouvait nous laisser deviner la nuit que nous allions passer. En plein milieu de la nuit, des dizaines de gens bruyants ont envahi l’hôtel et ont commencé à taper à nos portes. On a très vite compris : c'étaient des prostituées avec leurs clients qui cherchaient des chambres libres. Nous étions dans un hôtel de passe ! On a donc passé une partie de la nuit dehors devant l'hôtel à discuter politique et football avec le videur (qui n'était pas là dans la journée, il faisait juste partie des hommes de sécurité pour les « filles »). Et dans tout ça, combien de ces messieurs avaient voté pour l'AKP aux dernières élections...?
Après cette courte nuit, le temps de faire faire nos visas iraniens et de visiter un peu la ville, on est monté dans le premier bus de ce périple, direction la frontière, à travers des montagnes et des paysages dignes de la Suisse, jusqu'à arriver en pays kurde où on a pu avoir un aperçu du sous-développement de la région.
Première escale à Tabriz
Toutes les photos de Tabriz, Kandovan et Jolfa : ICI.
On a du passer la frontière (une des plus vieilles frontières du monde, entre l'empire perse et l'empire ottoman) à pieds au milieu des montagnes, à l'ombre du Mont Ararat, où l'Arche de Noé était supposée s'être échouée après le Déluge. Puis on est montés dans un taxi privé (n'importe qui avec une voiture arrondit ses fins de mois comme ça), pour notre première escale iranienne à Tabriz, grosse bourgade de 1,4 millions d'habitants, ancienne capitale de plusieurs royaumes turcs, capitale perse à ses heures, et aujourd'hui capitale de l'Azerbaïdjan iranien.
La ville n'a vraiment d'intérêt que pour son bazaar impressionnant, mais elle est au cœur d'une région dont la beauté a beaucoup inspiré l'Ancien Testament, ce qui en a fait notre base pour trois jours de sorties. En effet, Tabriz est connue pour être la porte du Paradis ! En montant vers le Nord, à la frontière avec l'Arménie et l'Azerbaïdjan, se trouve la vallée de la rivière Aras, connue comme étant l'emplacement du jardin d'Eden. En y allant, ça se comprend, et on peut retrouver ces caractéristiques dans tout l'Iran : le moindre cours d'eau, au milieu de ces montagnes arides, fait naître des vallées luxuriantes et des jardins magnifiques, qui sont au cœur de la culture perse depuis des millénaires. Mais aujourd'hui la vallée de l'Aras est un enjeu de conflit, puisque l'Arménie et l'Azerbaïdjan sont encore en guerre officiellement depuis 1994 pour quelques morceaux de terres le long de cette frontière, où les trois pays (Iran, Arménie et Azerbaïdjan) s'observent depuis quinze ans du haut de leurs avant-postes.
Un peu au Sud de Tabriz, on a pu se régaler au village troglodyte de Kandovan, qui n'a pas été sans me rappeler la Cappadoce, au milieu de paysages champêtres où paissent des troupeaux de moutons.
Mais le plus étonnant dans tout ça, ce furent sans doute les rencontres qu'on a pu faire à Tabriz, avec nos premières impressions en cette terre supposée inhospitalière. D'autant qu'à Tabriz, on parle surtout azeri, une langue turque, et on arrivait parfois à se faire comprendre (même à se faire passer pour des Turcs). De bout en bout, on a pu s'apercevoir du fossé, que dis-je, de l'abysse qu'il y a entre les Iraniens et leur régime politique, qui ne tient en place que par des bouts de ficelle (plutôt solides cependant). Mais on peut parler aisément et librement, même avec des femmes ; le "pas vu, pas pris" est la règle de base. En témoigne Hadi, qui nous a accostés dans la rue en nous entendant parler français, et qui nous a emmenés visiter le quartier de Valiasr avec ses amis. Il a eu la chance de voyager en tant que marchand de tapis, et il était l'ancien responsable de coach surfing à Tabriz, mais il a du arrêter "à cause du gouvernement", il ne nous en a pas dit plus.
La vallée des Assassins
Toutes les photos de Qazvin et Alamut : ICI.
Deuxième escale après un voyage en car plutôt confort - foi de grand dadais -, à Qazvin, à 150 km à l'Ouest de Téhéran, autre ancienne capitale perse et mongole. L'arrêt à Qazvin était surtout motivé par sa proximité avec la vallée d'Alamut, connue aussi sous le nom de vallée des Assassins, cette secte musulmane ismaélienne sous l'égide de Hassan-e Sabah, qui au XIIème siècle envoyait ses jeunes sbires fanatisés - sous l'effet du hachich - tuer des personnalités gênantes. On a donc loué les services d'un taxi privé qui nous a emmenés à travers les routes sinueuses des montagnes (bordés de murs peints de toutes les couleurs, avec de temps en temps des slogans islamistes par-dessus), en prenant au passage des villageois sans trop se soucier du confort, on était 7 ou 8 dans la voiture la plupart du temps (3 devant, 4 ou 5 derrière). Tout ça pour finir à pieds l'ultime ascension du roc menant au château d'Alamut, surplombant des vallées vertes et jalonnées de cerisers, de pruniers et de rizières. Notre chauffeur Ahmed ne s'est d'ailleurs pas fait prier pour aller refaire en douce son stock de cerises au passage.
Débats philosophiques à Téhéran
Toutes les photos de Téhéran ICI.
"Tout ce qu'il y a d'intéressant à Téhéran, c'est les gens". C'est ce que nous a dit notre coach surfer Ehsan quand nous l'avons rencontré chez lui dans les quartiers Nord de Téhéran, les quartiers riches et cultivés, nantis dirons certains, fermés sur eux-mêmes au pied des montagnes qui surplombent tout le Nord de la capitale iranienne. Tout n'est pas à jeter cependant dans cette capitale créée de toutes pièces par les princes Qajars au 18ème siècle. Notamment le vallon de Darband, plein de narguilé cafés enchevêtrés les uns sur les autres le long d'un ruisseau qui descend des montagnes, qu'on peut remonter jusqu'à avoir un superbe panorama sur la ville.
Pour le reste, la centre de la ville est assez sinistre et sale, même autour du Bazaar, Téhéran n'est pas une vitrine très reluisante du régime des Ayatollahs. Grise et polluée au possible, elle essaie de respirer grâce à un réseau de métro flambant neuf. Loin d'être la plus belle escale de ce voyage, donc, ce fut pourtant, de loin, la plus étonnante. Une fois n'est pas coutume, comme je suis fatigué du mode narratif, je vais vous lister ces détails aperçus ou vécus à Téhéran qui nous ont fait relativiser tout ce qu'on entend sur l'Iran :
- la soirée avec les ami(e)s d'Ehsan à boire des shots de Schnapps en jouant au Poker ;
- les fast-foods vendant de gigantesques hamburgers de compèt' et les magasins pour obèses ;
- un petit bureau de change où nous sommes entrés, où l'homme derrière son comptoir était ivre mort, une bouteille de vodka vide à côté de lui ;
- le métro de Téhéran avec les wagons aux extrémités réservés pour les femmes ;
- les boutiques de burqas haute-couture hors de prix ;
- Les versets du Coran sur des pancartes entourant les grilles des bâtiments officiels ;
- Les panneaux dans le métro, indiquant aux femmes de faire attention à ne pas laisser leur Burqa se prendre dans l'escalator (on en a vu une tomber comme ça !) ;
- Ehsan et ses amis, universitaires, traducteurs clandestins officiels de Baudelaire, d'Alain Badiou et de Slavoj Zizek, avec lesquels nous étions totalement dépassés dans leurs discussions sur la philosophie et la littérature européennes.
Ispahan la belle
Toutes les photos d'Ispahan ICI.
Ultime étape iranienne, Ispahan, magnifique capitale perse avec sa place des Imams qui a fait rêver de nombreux voyageurs et penseurs européens du 17eme siècle, Montequieu en tête. L'immense rectangle dont les perspectives seront imitées par les grands palais européens est bordé de galeries marchandes, de grandes mosqués aux domes turquoises, ainsi que du palais d'Ali Qapu, inspiré par les Palais antiques de Persepolis. Même si la nuit à l'auberge de jeunesse fut courte à cause d'une petite intoxication alimentaire, le plaisir des yeux était là. Après une grosse journée de visite, il a fallu prendre le chemin du retour. 18 heures de car pour retourner sur nos pas en direction de la frontière, via Orumiyeh cette fois, pour passer deux jours à Van, au Sud-Est de la Turquie, avant de prendre l'avion pour Istanbul.
Ambiance à l'irakienne à Van
Toutes les photos de Van et Hosap ICI.
Après une longue nuit dans le bus, on a donc repassé la frontière à pieds au petit matin, un peu plus au Sud qu'à l'aller, direction le lac de Van. En plein Sud-Est de la Turquie, on était aussi en plein pays kurde, une identité que la Turquie a encore beaucoup de mal à accepter, et on a pu le voir de manière très explicite : graffitis du PKK, contrôles de gendarmerie incessants sur les petites routes de montagne, véhicules blindés en ville, slogans turquistes en lettres géantes sur les falaises... La paisible ville de Van au bord de son lac s'embrase très souvent, comme les autres villes kurdes, contre un Etat turc qui a tendance à laisser la région dériver dans son sous-développement, et à nier l'identité kurde depuis la naissance de la République. D'autant que nous sommes arrivés deux semaines après les élections législatives, gagnées par le parti kurde dans toute la région, et des contentieux électoraux avaient provoqué de nouvelles émeutes quelques jours plus tôt. Mais le dimanche malgré cela toute la ville va pique-niquer au bord du lac, et on se baigne, en séparant les familles, les jeunes hommes et les jeunes filles.
Près de Van se trouve aussi le superbe château de Hosap, ancienne place forte de l'éphémère royaume kurde, puis forteresse ottomane, au milieu d'alpages arides qui s'étendent à perte de vue.
Après ça, le retour à Istanbul fut assez étrange. Il ne me restait qu'une journée pour dévaliser le Grand Bazaar, tout faire rentrer dans mes valises, dire au revoir à tout le monde dans une ultime soirée arrosée, et partir le lendemain matin...